La pluie s’abat avec de plus en plus de violence sur le Jardin des Tuileries et ce qui n’était, au départ, qu’une légère bruine rafraîchissante – de celles que l’on aime sentir sur soi en pareilles circonstances, histoire de prendre conscience de la réalité des évènements – se mue à une vitesse alarmante en un véritable déluge digne de l’Arche de Noé. Oui, à la différence près qu’ici, il n’est pas question d’assurer la pérennité des espèces humaines, juste de s’assurer de celle de son brushing et c’est déjà un exploit en soi; ainsi, les moyens de protection capillaires les plus impromptus fusent et ornent, en l’espace de quelques secondes, les colorations à plusieurs milliers d’euros de l’assemblée.
Personnellement, arborant un couvre-chef hivernal, je ne me sens pas concerné – tout au moins, détonnant, dans ce cadre monochrome, en pull lilas sur chemise blanche à pois microscopiques, avec la tenue que j’ai dû improviser la veille lorsque j’ai découvert avec effroi que je n’avais pas placé les choses correctes dans ma valise – par ce problème climatique et m’avance enfin vers la tente, grossissant au fur et à mesure de mes pas, théâtre du show imminent … Autour de moi, quelques infos filtrent quant aux créations proposées. En effet, quelques couturières de l’atelier Lagerfeld se pressent à l’entrée et échangent potins en tout genre.
Laissant traîner une oreille distraite, je les surprends à évoquer le coût faramineux de broderies omniprésentes dans la collection ainsi que la panique latente qui a régné hier, lors de l’inspection rigoureuse et militaire de Karl dans les ateliers de confection, les petites mains – ôh combien nécessaires et talentueuses – priant diverses divinités afin que le créateur allemand n’impose la réalisation de nouveaux modèles pour le lendemain. Apparemment, leurs prières ont été entendues et ces dames se sont réjouies de l’arrivée de Son Excellence dans les temps fixés – soit, à peine 30 minutes de retard- ainsi que de la validation de leur travail.
Ca y est, je pénètre sous la tente.
Oui bon, je suis dedans, mais je suis censé aller où là, exactement?
Devant moi, se dresse un mur noir fraîchement peint sur lequel figurent des initiales fléchées certainement utilisées pour le placement des « Sitting », les places assises – J’ai du mal à m’imaginer Carine Roitfeld, Alexandra Golovanoff, Anna Wintour et les autres grandes prêtresses de cet univers, stoppées dans leur élan, freinant la démarche assurée de leurs escarpins à plateaux vertigineux afin de se mettre en stand-by devant un mur, sommaire concret de directions à suivre…
Bon, peu importe, feignant l’habitude, je m’aventure à tout hasard vers la gauche …
Mon cœur arrête de battre dès que je m’avance dans la grande salle baignée dans l’obscurité, tout y est si élégamment et subtilement calculé pour donner un aspect minimaliste mais délibérément sophistiqué. Au fin fond de la pièce, au bout du podium – situé lui-même, à même le sol – des structures en bois verticales et horizontales s’entrelacent graphiquement avec passion et dévoilent avec pudeur le logo de l’homme derrière la marque du même nom: Karl Lagerfeld.
Quelques murmures impatients et une flopée de tentatives de dépassement me font chavirer et me rappelle à la réalité concrète: je ne sais toujours pas où sont supposées se trouver les « Standing ».
Cherche Grégory, tu PEUX le faire, tu DOIS le faire…
Absorbé par mes pensées, recherchant pratiquement à la vitesse de la lumière un moyen de ne pas me faire remarquer en plein milieu de cet échiquier vivant, je remarque un large escalier à ma gauche près duquel un membre de l’équipe s’empresse de m’informer qu’il s’agit du trajet pour observer le show en « Standing » – Pourquoi ne l’ai-je pas vu plus tôt celui-là?
Bref, après maintes péripéties anecdotiques, je m’engage avec enthousiasme dans l’ascension de ces quelques marches…
Sauf qu’il fait très noir par-là….
Non, mais, ils ne connaissent pas l’éclairage ici? Puis la sombre signature colorée de la marque n’est pas d’une grande aide dans une pénombre à ce point redoutable…
C’est vrai quoi, comme si tout cela ne pouvait pas être pire – que celui qui m’a croisé et qui n’a pas deviné que j’étais novice me jette la première paire de mitaines en cuir – je peine à trouver les marches et l’ascension semble interminable, me laissant me perdre dans mes supplications divines afin d’éviter la honte d’une chute causée par le manquement d’une marche…
Après quelques hésitations, j’arrive enfin au sommet, non sans mal, et me dirige vers le milieu de la salle; là-bas, un préposé au placement me signale avec courtoisie, en me désignant d’un geste de la main quelques places assises, qu’il m’est possible de m’asseoir si je le désire. Ni une ni deux, faisant un pied de nez aux personnes qui me suivent, tel un lion sur sa proie, je bondis sur la banquette et manque d’assommer mes voisins à coups de bottines dans ma triste gymnastique du « lever-glisser-plier » visant à me positionner avec un semblant d’élégance et de dignité….
Ça y est, je suis confortablement assis et prends pleine connaissance de mon environnement de ces prochaines minutes en activant le mode « vue opérationnelle » – soit, en revêtant mes lunettes optiques au double C -: derrière moi, à ma gauche, un cameraman donne quelques consignes à un homme qui souhaiterait s’asseoir devant l’engin filmographique et prie assez sèchement les autres personnes du fond de ne pas effectuer d’aller-retour pendant le show, un peu partout, les gens s’imprègnent de l’atmosphère ambiante en mitraillant de flashs tout ce qu’ils voient, …
Plus frénétiquement, mes yeux se tournent vers, vers le « Front Row », le premier rang;Anna Piaggi est la première personne que je reconnais – notez qu’il est ardu de ne pas la voir, elle cultive avec brio un style d’un excentrisme singulier – puis les noms s’enchaînent à mesure que mon regard se déplace dans tous les sens, Jefferson Hack– aux yeux effrontément masqués derrière des verres noirs – aux côtés d’Hilary Alexander – manifestement plus enjouée une fois installée -, Babeth Dijan – toujours en pilotes noires – plaisantant avec Lou Lesage, Alexandra Golovanov échangeant quelques mots avec Carine Roitfeld, Beth Ditto – triomphale, hyper stylisée, tatouage fièrement arboré sur le haut du bras et tout en courbes en bleu électrique -,Sarah Lerfel de chez Colette, Ken Downing – au visage figé – de chez Neiman Marcus, Peaches Geldof flanquée de Cory Kennedy, … Tous semblent ravis de leur présence et s’affairent en bavardages à droite et à gauche lorsque soudain, dans un mouvement à la rapidité minutieuse, deux hommes ôtent la protection du catwalk, signe irréfutable de l’imminence du show.
La salle encore animée de sonorités variées et de mouvement est plongée dans la pénombre la plus profonde et est abruptement assaillie d’un« Chuuuuuuuuuuuuuut » retentissant suivi à l’unanimité… Place au spectacle!
(En même temps, je peux mettre mon prénom puisque tu as mon adresse mail :p)
En tout cas, tu as du le vivre intensément, ce défilé, pour en donner autant de détails…
(Juste un truc… l’arche de Noé… je ne crois pas que c’était pour sauver les espèces humaines ^^)