Petit Jésus,
Je me permets de t’écrire cette lettre, parce qu’il me semble que nous avions bien sympathisé à cette After Crucifix Party – à moins que ce ne fut avec Sébastien Tellier, mes souvenirs de fin de soirée sont toujours relativement confus, tu m’en excuseras, j’en suis certain, le pardon, c’est ton truc, non? (Puis, tu n’avais qu’à ne pas changer tout le temps l’eau en vin, ce n’est pas très malin non plus!) – et qu’étant personnellement un modeux – si, j’insiste, tu as quand même désacralisé la culotte drapée pour homme -, tu comprendrais ce que j’ai à te dire concernant le problème qui frappe actuellement – de tout son poids – le monde impitoyable de la mode: la recrudescence alarmante de mannequins potelés sur les podiums.
Sommes-nous en train de migrer vers une idéalisation esthétique d’un embonpoint nourricier, à l’instar de ce qui se faisait à la Renaissance?
Les filles qui défilent ne sont-elles pas censées mettre le vêtement en valeur et donner envie de se le procurer par TOUS les moyens possibles et inimaginables? Est-ce que tout ce qu’on leur demande n’est pas de marcher correctement – sans se vautrer ou, pire, s’évanouir, de tout leur long au beau milieu du catwalk – et d’être physiquement irréprochables? C’est leur job d’être – très – minces, non?
Dis-moi si je me trompe mais j’imagine bien qu’avec cette musculature rigoureusement sculptée, tu te sens concerné par la traque aux kilos. Du coup, tu as probablement dû halluciner autant que moi lorsque tu as vu Beth Ditto au dernier défilé de prêt-à-porter de Jean Paul Gaultier… C’est vrai quoi, là, pour le coup, il n’a pas du tout assuré Jean Paul, surtout en distribuant des lunettes 3D à l’assemblée pour admirer la chanteuse sous tous les angles – et tous les bourrelets! J’avais même envie de lui adresser ce courrier pour l’informer que ces lunettes n’étaient pas nécessaires: on la voyait clairement en 3 dimensions sans ce gadget technologique, fallait être aveugle pour la manquer mais bon, j’ai décidé de passer quelques niveaux au-dessus pour faire entendre ma voix – tu es toujours bien le grand manitou?
Cela dit, ne va pas te méprendre, je n’ai rien contre Beth – dont j’aime beaucoup les chansons et le style décomplexé – ni même contre les grosses – j’avais d’ailleurs écrit un article sur comment s’habiller en fonction de sa morphologie quand on affiche un excédent de poids – MAIS je t’avoue ne pas comprendre le tapage médiatique fait autour de ce phénomène SIZE UP qu’on tente d’intégrer au monde de la mode – selon moi, principalement, pour se donner bonne conscience! J’ignore si Mc Donald est impliqué dans cette démence collective ou si le secteur alimentaire veut également refourguer ses sucreries et trucs très gras aux adultes (l’obésité infantile ne ferait-elle plus suffisamment vendre?), toujours est-il que je n’y adhère pas du tout. C’est un choix, c’est mon opinion et cela n’engage que moi – ne vas pas croire que mon courrier est un hymne à l’anorexie, ce n’est pas le cas (même si je ne te cache pas que je trouve les os particulièrement esthétiques, dans des cas non extrêmes, cela va sans dire!).
Apparemment, là où un Karl Lagerfeld – bête noire des obèses qui, s’ils le pouvaient, le dévoreraient entre deux tranches de lard, noyé sous un bon kilo de mayonnaise, en format maxi sandwich – insiste sur le fait que les défilés et la mode devraient vendre du rêve, les gens, eux, veulent voir des corps qui leur sont familiers. Résultat des courses, parti comme ça l’est, bientôt, on va voir défiler des mannequins flanqués de cellulite, bourrelets triomphants, ventres bedonnants et doubles mentons gélatineux virevoltant aux rythmes des pas sur le podium et tout le monde sera content. Ce sera beau, ce sera naturel. Puis, tant qu’à faire, on bannira carrément les retouches numériques: pourquoi planquer les cernes de cette fille, nous en avons tous, c’est normal d’en avoir, allez, rouf, on la met en couverture! Über glamour. Les « Venez comme vous êtes! » ou autres « La mode, c’est vous! » qu’on entend de plus en plus prendront tout leur sens quand nous découvrirons, au détour de quelques pages de publicités anti Photoshop, une série mode avec des filles tout ce qu’il y a de plus banal – et de plus lipidique – dans un magazine qui le sera également devenu. Oui, parce que tu ne vas pas me faire croire, du haut de ta croix et de tes sandales très été 2011, que voir ta voisine Bethsabée, accro aux hosties, en couverture de VOGUE NAZARETH te ferait rêver!